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Centre Henri Pousseur

John Whiting “A leap into the void…”

bio

Henri Pousseur est né le 23 juin 1929 à Malmédy, en Belgique. C’est là qu’il passa son enfance mouvementée : en effet, la région frontalière ne fut pas simplement envahie mais « rattachée » au Reich allemand. Ainsi, Pousseur commença son éducation scolaire sous régime belge, pour la poursuivre dans une « Oberschule » allemande et la terminer dans un athénée de nouveau belge avant d’entreprendre ses études de musique au Conservatoire Royal de Liège en 1947. Toutefois, l’occupation lui apporta un professeur de musique, Hermann Barg, qui ne lui enseigna pas seulement les classiques et les romantiques, mais l’introduisit également à l’expressionisme schoenbergien. C’est en voyant un film sur la vie de Mozart en 1943 (« Wen die Götter lieben ») que le projet de devenir compositeur germa en lui. Il se prépara à l’entrée au Conservatoire en suivant des cours à l’académie de Stavelot, dirigée par Octave et Eugène Micha.

À Liège, il entra dans la classe d’orgue de Pierre Froidebise, qui lui fit partager sa passion à la fois pour le répertoire ancien et pour les tendances les plus récentes. Ainsi Froidebise donna lui-même des conférences d’introduction au dodécaphonisme et invita à Liège René Leibowitz, alors le défenseur le plus acharné de l’École de Schoenberg. Pousseur rejoignit rapidement le groupe des Dodécaphonistes liégeois, où l’on exécuta sa Sonatine pour piano de 1949, ce qui lui causa quelques troubles avec la direction du Conservatoire. En 1950, il put assister, à Bruxelles, à la création de la Seconde cantate de Webern (festival SIMC). Il rencontra Pierre Boulez au printemps 1951 à Royaumont : alors que ce dernier mit rapidement de côté la Messe « trop stravinskienne », il lui fit des observations capitales quant au traitement harmonique adopté dans les Sept Psaumes de la Pénitence. Lors d’une excursion à Paris, ils entendirent chez Heugel l’enregistrement du Soleil des eaux de Boulez que Roger Desormières venait de créer. Tout cela décida Pousseur à poursuivre la voie post-webernienne avec ses Trois chants sacrés, qui furent créés au festival SIMC de Salzbourg en 1952.

Durant son service militaire, il resta en contact avec le monde musical autant à travers André Souris et Marcelle Mercenier, qu’il vit régulièrement à Bruxelles, qu’à travers Karel Goeyvaerts, qu’il rencontra régulièrement à Malines, où il était caserné. En mars 1953, il donna à Bruxelles une conférence sur les recherches les plus récentes de la musique concrète, mais l’espoir de voir la création d’un studio de musique électronique fut déçu. C’est dans ce contexte qu’il entre en contact avec Karlheinz Stockhausen, dont Boulez lui avait par ailleurs demandé de traduire un premier texte théorique. (Pousseur devait poursuivre une telle activité de traduction pendant plusieurs années, éditant notamment un premier recueil d’écrits d’Alban Berg dans la collection du Domaine musical dès 1957.)

Au terme du service militaire, il devint professeur de musique dans une école secondaire à Eupen, puis, en 1954, épousa Théa Schoonbrood, avait qui il aura quatre enfants. Ses contacts avec Stockhausen s’intensifiaient, et au printemps 1954 il réalisa dans le studio de la NWDR de Cologne une première étude de musique électronique, Séismogramme. Cette même année le vit la première fois à Darmstadt où il rencontra en 1956 Luciano Berio. Entretemps, ses Symphonies à quinze solistes furent créées au Domaine musical sous la direction d’André Souris, et le Quintette à la mémoire d’Anton Webern à Donaueschingen sous la direction de Hans Rosbaud. De ces mêmes années datent ses premiers grands écrits théoriques : sur la musique électronique, sur l’harmonie de Webern et sur la mutation entre Schoenberg et Webern, sur la nouvelle sensibilité musicale ou sur le hasard – publiés dans die Reihe, Incontri musicali ou encore les Darmstädter Beiträge zur neuen Musik. En 1957, Berio l’invita au studio de la RAI à Milan où il réalisa la première pièce aléatoire de musique électronique : Scambi. Pour l’exposition universelle à Bruxelles en 1958, il composa un premier mouvement des Rimes pour différentes sources sonores superposant des productions sonores instrumentales et électroacoustiques (sons enregistrés transformés et sons électroniques). Mobile (également de 1958) constitue la première œuvre aléatoire européenne pour plusieurs musiciens, projet qu’il prolongera avec Répons pour sept musiciens (1960). Cet intérêt pour les « relations microsociales » entre les musiciens (de telles œuvres étant comme des expérimentations de nouvelles relations à l’échelle de la société réelle) se retrouvera tout au long du parcours de Pousseur, notamment dans des œuvres comme les Éphémerides d’Icare 2 ou Modèle réduit, ou encore dans Aquarius Memorial, la grande composition en quatre volets que Pousseur composera au titre de composer in residence de l’Université de Leuven entre 1993 et 1999.

Vers 1960, il décida d’élargir le projet sériel en dépassant une certaine attitude antithétique qu’il avait jusque là partagée avec l’avant-garde internationale. Les deux idées-force de cette remise en question sont la « périodicité généralisée » (appliquée tout d’abord aux paramètres-cadre comme le contrôle des densités ou la morphologie sonore – par exemple dans Caractères pour piano) et la « reconsidération de l’harmonie par la réintégration des consonances » (à partir de Votre Faust – la fameuse « fantaisie variable genre opéra » réalisée en collaboration avec Michel Butor et qui est devenue l’œuvre à laquelle on associe le plus fréquemment son nom dans les histoires de la musique contemporaine). Les raisons de chercher un langage harmonique sériel véritablement généralisé sont multiples : d’une part, il sentit le besoin de répondre aux injonctions lancées par Butor à l’adresse des compositeurs dans son article « La musique, art réaliste » (1960) ; d’autre part, le maintien de l’harmonie dans le seul univers post-webernien privait cette dimension d’une variabilité suffisante et limitait les manipulations de ce que Pousseur reconsidérera (après toutes les explorations du côté du bruit, notamment) comme LA dimension musicale par excellence. Ce n’était pourtant pas un simple « retour à » qu’il visait : il fallait trouver un dénominateur commun au niveau de la technique compositionnelle, si bien que la transition entre Monteverdi et Webern (pour reprendre cette partie du « programme de travail » de Votre Faust) ne se fasse pas par simple collage mais soit médiée au sein d’un langage « supérieur » et organique. La première démonstration à grande échelle de telles modulations harmoniques fut donnée en 1967 avec Couleurs croisées, où la chanson We shall overcome fut projetée dans des univers harmoniques très variés (contrôlés par ce que Pousseur appela les « réseaux harmoniques ») allant des masses sonores les plus dissonantes à la transparence modale et un accompagnement strictement consonant. Cette démarche de la transformation d’une « matrice » est également à l’origine de la Vue sur les jardins interdits (écrite à la mémoire de Bruno Maderna) ou encore de Die Erprobung des Petrus Hebraicus, composée en 1974 pour célébrer le centième anniversiare de Schoenberg. Dans cette dernière œuvre, Pousseur se proposait de réfléchir à l’actualité de ce patriarche, et la combinaison ne fut plus limitée à des grammaires musicales distinctes mais à l’interaction de véritables styles musicaux (la perspective historique selon Schoenberg lui-même, avec Bach, Mozart, Beethoven et surtout Brahms ; cette autre modernité de l’époque berlinoise de Schoenberg avec le song à la Weill/Brecht, etc.). Plus tard, Pousseur revisitera plus profondément deux « monuments » de l’histoire de la musique, les Variations Goldberg et le Dichterliebe pour en donner des « recompositions actualisées », autant de parcours auditifs kaléidoscopiques à travers ces œuvres qui mettent en évidence des relations sous-jacentes que d’ordinaire ne révèle qu’une analyse sur partition. Une autre synthèse pratique sera donnée dans la Seconde Apothéose de Rameau, combinant les résultats de quelque vingt ans de recherche et les replaçant dans le parnasse de la création musicale à la fois passée et présente (par le biais de nombreuses citations).

La condition du compositeur oblige cependant à d’autres activités. C’est ainsi que Pousseur posa une première fois sa candidature au poste de directeur du Conservatoire de Liège en 1963, mais sans succès. Après avoir élaboré avec Pierre Bartholomée un projet plus vaste incluant autant les musiques expérimentales que la pédagogie d’éveil, il fonda (après trois années à l’Université de Buffalo) le Centre de Recherches et de Formations Musicales à Liège. En 1975, il arrivera à imposer sa candidature pour le poste de directeur du Conservatoire. Dans les années qui suivirent, ce conservatoire deviendra un foyer du renouveau de la pédagogie musicale : les ateliers les plus prometteurs du Centre se trouvent intégrées dans la grande maison et aident à dépoussiérer des habitudes trop anciennes. Ainsi, l’accent sera mis sur la musique de chambre au lieu de la seule virtuosité soliste, et les cours d’écritures et d’analyse se rapprochent d’une réalité musicale utile aux praticiens. Ce modèle intéressa en France le Directeur de la musique Maurice Fleuret, mais comme Pousseur refusa de prendre la direction de l’un des conservatoires supérieurs, on créa l’Institut de pédagogie musicale au Parc de la Villette (qui sera ensuite intégré à la Cité de la Musique). Pour conclure sa carrière publique, Pousseur élaborera une « passerelle » entre le Conservatoire et l’Université, que cependant la « réforme de Bologne » fera disparaître.

Ayant subi un pontage cardiaque en 1993, Pousseur avait regagné en jeunesse pour une bonne dizaine d’années. Des soucis d’oreille devaient cependant ternir les dernières années de sa vie. Fortement affaibli par d’autres soucis de santé, Pousseur disparut le 6 mars 2009 à Waterloo.

Pascal Decroupet

Avec l'amaible autorisation des éditions Suivini Zerboni